J’ai reçu un tweet de Thomas, qui depuis qu’il a les 2 pieds sur terre, ne semble plus aussi perfide et clairvoyant qu’en altitude.
Il (je cite) « ne comprend pas bien l’interêt de cette ascension par le sud, pesquet le sommet, la fusée, et même la route, sont du même acabit que ce que l’on peut voir quand on attaque le Nore par le Nord ? »
Évidemment, c’est ce que je disais, ce monsieur en est maintenant réduit à tout prendre de bien trop haut, et bien trop grand angle pour nous autres, les terriens.
Alors qu’à vélo, c’est les yeux perchés au guidon qui découpent la réalité, par tranches étroites, collés au terrain, lestés par la route.
Et quand ils s’en détachent, c’est en plan large à l’américaine avec les 2 bandes horizontales (la visière et le bitume),
ou en flashs saccadés (un arbre / une baraque / un arrêt de bus), qu’ils fixent les images et impriment le paysage.
Justement, en montant par le Sud, et cuisant sous le soleil, il n’a pas échappé au cycliste dégoulinant de sécrétions, qu’un panneau indicateur rutilant de la DDE annonçait, page précédente, sous Cabrespine-Castans et Pradelles Cabardès, en italique et en plein milieu de l’écran, pile entre visière et bitume, un modeste et discret - plan d’eau -
De quoi alimenter les désirs aquatiques les plus fous, pendant tout le reste du parcours …
Qui va se réduire à monter le plus rapidement possible au sommet, pour redescendre dare-dare à Pradelles, en salivant à l’évocation d’une bonne mousse !
Stimulus n°1: Le sommet
Stimulus n°2: La bonne mousse + La Baignade
Ouaaaaiiiis, je sais Thomas, des vues du ciel comme ça, t’en as marre, et pis ça donne pas vraiment envie de se baigner… Pardon ?
Tu comprends pas l’intérêt de monter par le Sud, puisqu’en arrivant par le nord on peut très bien se baigner pesquon redescend par le sud !?
Mais Tom, c’est que quand tu viens du Nord, sous la fraîcheur, et que la descente se fait sous un ciel qui commence à se voiler,
t’as plus franchement envie de t’arrêter, pour payer cher une cannette pas fraîche, et tremper tes genoux dans une eau crade et glaciale !
Voilà la différence: Ceux qui montent par le Sud ont des soifs persistantes, des mousses voluptueuses expansives, des envies irrépressibles d’immersion dans le Gange, le Danube ou le Niagara.
Le reste du parcours se fait robotiquement avec un regain de vigueur, et de coupe-vent.
C’est la route habituelle, qui revient à Cuxac par Les Martys et le lac Laprade, au milieu des prairies et des forêts.
Des forêts tellement denses que je remarque cet arbre solitaire, isolé au milieu d’un champ.
Je photographie aussi sec ce que mon scalpel visuel découpe, isole et fragmente, pour l’extraire du magma d'une réalité floutée par la vitesse de croisière de mon vélo
En retraçant le parcours avec les outils GPS modernes, et en m’aidant de cette photo et de ma mémoire, je crois bien avoir retrouvé MON arbre,
souvenir banal et singulier, furtivement mémorisé par mes mirettes, endormies par les oscillations du guidon.
À ce moment-là, je mesure le handicap de l’itinérant à vélo, contraint et forcé au mouvement, par rapport au marcheur, libre de stagner durant des heures pour flemmasser,
et accesssoirement griffonner sur son carnet des bribes de rêverie et des traces de voyage.
Le Laprade, un peu plus loin, aurait pu être une deuxième occasion pour rafraîchir le troupeau, mais la météo avait définitivement viré au maussade et au frisquet !
Les lacs et les forêts du coin, de toute façon, ici, on connait trop bien.
C’est un pur régal, à consommer sans modération …
On y prend le temps, entre 2 raids à vélo, de détailler des broutilles, de fixer et de mémoriser l'insignifiant... au repos, durant des heures !