On est au bistrot, d'accord ... Mais entre 2 bières, vous allez en bouffer des pages… Des kilomètres !
C’est moi qui vous le dis
Et je compte sur vous pour faire partager vos lectures, émettre des critiques ou susciter l’envie de foncer chez le libraire du coin …
Ah oui, aussi ... Pas besoin de s’enfermer dans le placard de la section restreinte, il n’y aura ni scan, ni piratage (ou à peine !): Que du proprement référencé, du sourcé, du cité et du répertorié, avec des morceaux choisis, pour mettre l’(EP)
O à la bouche ;D
Paul Morand - Ouvert la nuit (1924)
Édition Gallimard - L’imaginaire
J’ai lu ce recueil de nouvelles il y a bien longtemps, lorsqu’ado j’étais fasciné par l’écrivain cultivé, auteur de véritables perles: “l’homme pressé”, “Fouquet ou le soleil offusqué”… Morand, le ‘chantre de la modernité’ m'avait-on dit: Écriture concise, ironique et ciselée, amateur de belles choses, de grands voyages exotiques et de petits plaisirs érotiques avec les dames …
Plus tard, je découvris le visage terne du diplomate, sa participation au gouvernement de Pierre Laval sous l’occupation, sa “traversée du désert” à la libération, banni par le Général de Gaulle et contraint à l’exil en Suisse, puis ses accointances avec le courant des “Hussards”, la droite littéraire hostile à l’existentialisme, au gaullisme et à la décolonisation en Algérie, réveillant les vieux démons des antidreyfusards, de l’Action Française et de l’extrême droite.
(Au passage, il faut noter qu’Antoine Blondin, romancier mais aussi journaliste sportif à l’Équipe, chroniqueur incontinent (et assoiffé aussi) des Tours de France durant 28 ans (de 1952 à 1982), faisait partie, également, de ce groupe des Hussards. Mais c’est une autre histoire ... On y reviendra !)“Ouvert la nuit” renferme 8 nouvelles nocturnes: La nuit catalane, la nuit turque, la nuit hongroise…, etc. Elles sont toutes délicieusement dépaysantes, narquoises, drôles, insolentes.
Parmi elles: La nuit des Six-Jours. Une claque ! Une immersion dans un vélodrome en rut…
Un court-métrage coquin (un homme drague une dame qui toutes les nuits s’éclipse mystérieusement). Une plongée historique dans un décor fabuleux (elle va encourager son chéri qui court les Six-Jours au Vel’ d’hiv’). Une ambiance surchauffée hyper-réaliste pour une aventure romantico-sportive (on peut “voir” les gros titres des publicités et “sentir” les odeurs des loges, des gradins …On passe des efforts des coureurs, déroulant leurs cuisses mouillées, aux assauts des 2 jouvenceaux, enhardis par les moiteurs et les clameurs du vélodrome).
La fin est subtile, comme toujours, abrupte et sans détours, sur fond d’excitation, d’attentes et de promesses, on finit par replier ses gaules et remballer ses outils…
Un petit extrait :- Où habitez-vous ? lui dis-je. Je vous aime.
- Tu charries ou t’as l’béguin ?
- Les deux, comme toujours, à la fois.
Elle, inévitablement:
- Il me semble vous avoir déjà vu quelque part ?
- Vous êtes ma soeur, dis-je en baisant sa robe, et indispensable.
Je dus lui apparaître hardi, méprisable et dénué de libre arbitre. Elle se dégagea.
- Vous avez l’air bien pressé.
- Non, mais tout ce que je fais, je le fais vite et mal, de peur de cesser trop tôt d’en avoir envie.
- Il va être deux heures, il faut que je me débine.
- Pas avant que vous m’ayez dit pourquoi vous disparaissez à chaque instant ? Vous ‘en’ vendez ?
Elle ouvrit des yeux comme des oeufs sur le plat:
- Pas souvent, répondit-elle. Je ne tiens pas à tirer cinq ans.
- Alors ?
- C’est pour avoir des nouvelles de mon ami, qui travaille.
- Qu’est-ce qu’il fait votre ami ?
- Il est stayer … Un sixdayman … Il court les Six-Jours, quoi. Vous n’avez jamais entendu parler de Petitmathieu ? D’où sortez-vous ?
L'image provient du livre de Pascal Sergent - Les pionniers du cyclisme (éditions Alan Sutton)
Un deuxième :Je fis la connaissance de Petitmathieu, mais il n’eut pas l’air de m’accepter comme présent. Il ronchonnait. Plus souvent qu’on lui apprendrait à se relever pour une putain de prime. Et de cent balles encore. Public de fauchés ! Des râleux qui viennent avec leurs poules, bien heureux encore quand ce n’est pas pour cueillir les femmes des autres.
Ses cuisses étaient maintenant un ivoire mouillé.
- Petitmathieu, debout là-dedans ! crièrent au-dessus des lions Peugeot, inexorables, les populaires.
Mais il fit signe de la main qu’il en avait marre.
Les mécaniciens souillés, avec une barbe de cinq jours, en chemise kaki, bandaient les guidons au fil poissé, mettaient en faisceaux les roues à vérifier, serraient un écrou.
Petitmatieu ne trouvait pas le bien-être.
- Le ventre, quand vas-tu te décider à me travailler le ventre ?
Le masseur écarta l’élastique de la culotte; on lut au-dessous du nombril: ‘4e régiment de zouaves, 1re compagnie’ et la devise ‘Tant que ça peut’; il passa à plat la paume de sa main sur les intestins.
- Sucre-moi les fesses au talc.