Interlude culturel N°2: Attention FRAGILE ! Potterie ...Chez les pottier, on façonne des coureurs cyclistes à tour de bras.
Et pourtant, comme leur nom ne l’indique pas, ils ne sont pas pétris d’argile, mais de farine.
Pas sur un tour (pas encore), mais dans le moulin familial de Moret-sur-Loing que le papa, Léon Pottier, meunier, gère avec plutôt bonne fortune, grâce à des placements dans la construction du canal de Suez et de celui de Panama.
4 frères, 2 soeurs. 2 coureurs cyclistes professionnels: René et André, son cadet.
René finira pendu a un croc de boucher (*)
Meunerie, potterie, boucherie !
(*: En vrai, à une poutre du garage où il suspendait son vélo, mais c’est moins cinématographique)
Un final tendu à la David Lynch qui clôt des débuts sportifs très prometteurs et une belle journée de janvier 1907 qui était destinée au patin à glace en famille, comme dans une Romance à l’eau de rose …
(Source: La vie au grand air - 4 aout 1906 - Gallica / BNF)Wiki dit:
"Son frère André, également coureur cycliste explique ce suicide par un chagrin d'amour, bien qu'aucune preuve de ce qu'il avance ne soit jamais apportée.
Au lendemain de sa mort, la plupart des quotidiens reprennent cette explication tandis que d'autres avancent la thèse de l'épuisement nerveux du champion."
En fait, quand on lit les journaux disponibles en ligne sur Gallica-BNF, ce n’est pas tout à fait exact:
Sur le moment, la presse relate à l’unanimité la surprise et l’absence d’explication entourant le suicide, à l’exception de quelques titres qui évoquent le surmenage ou la "neurasthénie aigüe".
Comme cet article, dont les faits sont repris en boucle par la plupart des autres:
(Source: Le Matin - 26 janvier 1907 - Gallica / BNF)
Ce n’est que le lendemain de la cérémonie des obsèques, que j'ai pu trouver un article faisant allusion, pudiquement, à des causes moins publiquement avouables.
Mais c’est très adroitement abordé, et bien entendu « cela ne nous regarde pas » !
La rumeur a certainement pu grossir ultérieurement (je n’ai pas vérifié toutes les publications et je n’ai pas retrouvé de déclarations publiée du frère André),
mais en tous cas, pas sur le moment.
(Extrait d’article: « La fin d’un champion », dans Le Radical du 28 janvier 1907)
NB: Pottier s’est pendu le 25 am, les obsèques se sont déroulées le 27 amJ’imagine que la disparition de Pottier a dû fortement et durablement marqué les esprits, et ce au moins jusqu’avant l’hécatombe de la 1ère guerre mondiale.
En témoigne cette fin d'article, intitulé "Gloires disparues" paru dans la presse quelques jours après le décès de Pottier, qui a des airs de recensement et de « catalogue », gloupsss...
(Source: Article "Gloires disparues", dans Le Chauffeur - 1er février 1907 - Gallica / BNF)L'ASCENSION DU BALLONJe laisse la parole à
David Guénel sur
Velo-club.net qui raconte si bien:
www.velo-club.net/post/rene-pottier-quand-le-vainqueur-du-tour-de-france-se-suicideCitation: " En 1905, après avoir fini 2e de Paris-Roubaix et 3e de Bordeaux-Paris, il fait figure d’outsider lorsqu’il s’aligne sur le Tour de France. Il y signe une deuxième place dès la 1e étape. L’étape suivante offre alors la première véritable ascension de l’histoire du Tour : Le Ballon d’Alsace. Haut de 1173 mètres, il inspire une certaine crainte aux 39 partants. Enfin, pas aux 39 car René Pottier lui, ne craint rien, et surtout pas les ascensions.
Répondant à une attaque du lauréat du Tour 1904 Henri Cornet, il vire au sommet seul en tête devant Hippolyte Aucouturier, Louis Trousselier et le susnommé Cornet. Dans son style caractéristique, plié en deux sur sa machine, le regard fixé sur le sol, le grimpeur donne l’impression d’imprimer toujours le même rythme, de ne jamais fléchir quand la route s’élève.
Moins à l’aise en descente, Pottier se fait reprendre puis distancer par Aucouturier et termine l’étape à la 2eplace, 10 minutes après son coéquipier. C’est en 2e du classement général qu’il abandonne le lendemain, se ressentant trop d’une chute survenue lors de la première étape."
(Source: La vie au grand air - 2 février 1907 - Gallica / BNF)Citation, toujours: "Il se dit que Pottier aurait grimpé le Ballon à une vitesse moyenne de 20 km/h, forçant l’admiration de Henri Desgrange lui-même, qui déclara après la course : « L’ascension du Ballon d'Alsace par René Pottier est l'une des choses les plus passionnantes que j'ai vues ». Après le décès du coureur, le directeur de la course décidera de l’érection d’une stèle sur ces rampes alsaciennes où, à coups de reins, Pottier forgea une partie de sa légende."
(Source: La stèle du Ballon en 1911 - carte postale sur Fortunapost.com)NB: La plaque avec la photo de Pottier a été rajoutée sur la stèle lors d‘1 cérémonie d’anniversaire pour les 100 ans de sa victoire au TdF, le 25 juin 2006L’APOTHÉOSE DU TDF 1906Continuons, D. Guénel nous parle de ce TdF 1906:
Citation: " La performance de Pottier sur le Tour 1906 est de la même trempe, jugez plutôt : leader du général dès le deuxième jour, il s’impose sur 5 des 13 étapes. Dans les autres étapes, jamais il ne sort du top 10. Mais plus encore que ces chiffres, c’est la manière dont il remporte ses victoires qui marque les esprits… 15, 26, 48, ce sont, en minutes, certains des écarts qu’il creusa sur les deuxièmes lors de ses victoires. Même pour l’époque, ces chiffres sont exceptionnels.
Avec de tels écarts, le Francilien n’avait guère besoin d’exceller au sprint… C'était pourtant l’une de ses spécialités ! L’implacable supériorité avec laquelle il gagna devant des champions tels que Georges Passerieu, Louis Trousselier, Lucien Petit-Breton ou encore Eugène Christophe, forgèrent sa légende. Petit-Breton disait de lui : « Ce garçon-là me glace, me flanque le trac, m'anéantit. Avec Pottier, neuf fois sur dix, je pars battu. » Sublime éloge, venant du grand Lucien... "
(Source: Pottier TdF 1906, le tour d’honneur - Agence Rol - Gallica / BNF)Citation, encore: " Après une première étape anecdotique, Pottier prend les choses en main le lendemain. Il souhaite effacer de sa mémoire le goût d’inachevé laissé par son abandon de l’année précédente. Las, victime d’un problème mécanique, il doit s’arrêter près d’une heure pour réparer. Dans le même temps, Petit-Breton, Emile Georget et Maurice Décaup se relaient à l’avant pour le distancer, conscients de la supériorité intrinsèque de leur rival. Nous parlons d'une époque où la dimension mécanique du cyclisme était acceptée par tous, et où l'avarie d'un coureur était naturellement vue comme une opportunité pour ses adversaires. Mais, après une poursuite de 200 kilomètres, le Francilien rattrape les fuyards puis les dépose peu avant l’arrivée pour décrocher son premier bouquet sur les routes du Tour. L'étape suivante a pour plat de résistance le Ballon d’Alsace, déjà converti en juge de paix de l’épreuve. Fort de sa démonstration de 1905, le Roi de la Montagne opte pour la même stratégie offensive, au point de se retrouver isolé bien avant le sommet. Il reste alors une longue « descente » de 210 km vers Dijon, qu’il avalera goulûment pour finir 48 minutes devant Passeriez.
La légende raconte que lors de la 5e étape, menant d’une heure à mi-parcours, René décida de s’arrêter dans un bistrot. Rappelons qu’à cette époque, le classement général se joue aux points, et qu’une seconde ou une heure d’avance ne font aucune différence. Attablé tranquillement, le champion se fit servir une bouteille de vin qu'il eut presque le temps de terminer avant d’être rejoint par ses premiers poursuivants. Il renfourcha alors sa bicyclette, les rattrapa et remporta l’étape. "
(Source: La vie au grand air - 2 février 1907 - Gallica / BNF)